Logique Floue

 

La Logique Floue

1. Un peu d’Histoire


Au delà du simple manichéisme qui est l’évolution la plus radicale de la logique et aussi son aboutissement religieux et temporel, on peut se demander où nous mènerait une logique implacable. Tout d’abord, justement à des idées simples puis parfois simplistes et en poussant un peu loin a des idées très populistes. Même si le cartésianisme est un peu galvaudé, il est à la base de beaucoup de courants de pensée. Adopté donc dans de nombreux domaines, son utilisation reste très emblématique d’une société frileuse qui ne veut appliquer que les mathématiques sans équivoque là où le doute subsiste. Et pourtant il n’en reste pas moins que trop de logique tue la logique. Au bout du compte, si il y a bien un domaine où la logique n’a jamais réussi à prendre le dessus c’est dans tout ce qui touche à la beauté, ce qui explique la nécessité d’utiliser d’autres moyen, comme les échelles, pour la définir. Nul n’aurait la prétention ici de parler d’une vraie beauté absolue. Et bien voilà, j’en appelle à définir tout ce qui nous entoure non pas par une logique bivalente mais plurivalente. Car quoi de plus humain qu’une langue et quoi de plus complexe que la traduction de ce même langage en données formelles. Et j’irais même jusqu'à « donner aux qualifications des propositions une nuance épistémologique[3]».
Rappelons un philosophe crétois oublié, Epiménide qui pensait que tous les crétois étaient des menteurs. Joli paradoxe que voilà puisque, si Epiménide est crétois, alors il ment et donc tous les crétois disent la vérité et donc Epiménide qui est crétois n’a pas menti ! Ce type de problème irrationnel a poussé les mathématiciens à reconsidérer sérieusement la logique bivalente. Dans les faits, tout se déclenche au début du siècle dernier, période à laquelle où plusieurs problèmes insolubles apparaissent. En physique par exemple, l’incertitude d’Heisenberg amène les physiciens à créer le « ½ » en logique pour caractériser ce qui ne peut être déterminé. De même, Lukasiewicz, logicien polonais, en travaillant sur le futur contingent (ce qui est en devenir), est un peu devenu le créateur de la logique plurivalente puisqu’il faut bien qu’il existe un état qui n’existe pas ET existe simultanément : le futur.
C’est ainsi que, dans les années Trente, Max Back travaille sur la logique plurivalente appliquée aux ensembles. Mais finalement, ce n’est qu’en 1965 que Lofti Zadeh, Professeur à l’université de Berkeley, jette véritablement les bases de la logique floue dans son livre « Fuzzy set theory ». En 1975, le professeur Mandani réalise le premier contrôleur flou expérimental dont, quatre ans plus tard, on trouve la première application dans un four. Depuis, la grande majorité des travaux sur la logique floue a été menée au Japon où cette théorie est très prisée. Là-bas, il existe de nombreux ustensiles et appareils électroménagers utilisant cette méthode et même le fameux métro de Sendai en est dépendant. On peut expliquer ce revirement des recherches en Orient par le fait que la pensée occidentale est trop marquée par le cartésianisme qui rend aberrante « la violation du principe du tiers exclus » alors que cette idée est volontiers admise au Japon.
En clair, la logique floue n’est surtout pas une logique imprécise mais bien une logique qui s’adapte à l’être humain en laissant une place entre la certitude du vrai et la certitude du faux.

2. Un peu de théorie


Afin de mieux comprendre, de pouvoir comparer et ensuite d’appliquer ces notions, il est impératif de passer par la théorie.
Au chapitre précédent, une fonction d’appartenance de l’ensemble E,
Ensemble E
ne laissait le choix qu’entre 1 ou 0.
Imaginons maintenant A, sous ensemble de E, et une valeur d’appartenance , de l’élément x dans A, alors :
Ensemble comme fonction
A est alors un ensemble comme fonction.
Prenons un exemple simple : soit E, l’ensemble des tailles possibles et A le sous ensemble grand. En logique bivalente, on est soit petit soit grand, (x<170cm : pas grand ; x≥170cm : grand). Stupide non ? Si je mesure 170cm, je suis grand et si je mesure 169cm, je suis petit…Cette discontinuité est totalement absurde.
Taille logique binaire
En réalité si je mesure 170cm, je ne suis ni vraiment grand ni vraiment petit ; par contre, si je mesure 175cm, je commence à être sérieusement grand et, au delà de 180cm, je suis vraiment grand. Voila un exemple typique de ce qu’est la logique floue et de son intérêt.
Taille en logique floue
La suite est très simple, il ne reste plus qu’à établir les règles de calcul en logique floue. Elles sont presque toutes analogues à celle de la logique bivalente.
La commutativité, l’associativité, la distributivité et l’involution sont respectées. Cependant, contrairement aux probabilités,
Tier exclus
il y a violation du principe du tiers exclus !
D’autre part, la logique floue décrit l’ambiguïté alors que les probabilités décrivent le doute quant à l’occurrence d’un événement. Les opérateurs, quant à eux, sont bien différents. L’opérateur NON est défini ainsi :

L’opérateur OU :

L’opérateur ET :

Voici maintenant, en comparaison de celui de la logique « standard », un tableau récapitulatif.
Tableau de la théorie des Ensembles Flous
Figure 3 - Tableau de la théorie des Ensembles Flous

Ainsi, nous remarquons que si l’on contraint les valeurs à 0 ou 1, la théorie est la même que pour la logique bivalente ; de même, on peut vérifier que le tiers exclus est faux. Nous avons utilisé, pour ce tableau, la méthode de Zadeh, la plus utilisée. Cependant, il existe d’autres méthodes qui permettent de calculer le ET et le OU. Par exemple, la méthode Probalistique dans laquelle OU se calcul par :

Ou encore la méthode de Lukasiewicz dans laquelle ET se calcule par :

L’un des nombreux avantages de la logique floue est aussi que les concepts de très ou très peu existent.
On peut ainsi définir la fonction de concentration (très) comme :

3. Comment l’appliquer ?



Figure 4 – Régulateur par logique floue

Maintenant, essayons d’appliquer ces concepts au régulateur de température d’un chauffe eau.
Etape n°1 : Définition des entrées et sorties.
En entrée, nous avons la température de l’eau à l’intérieur du ballon et en sortie, l’ampérage à fournir au chauffe-eau. Nous pourrions très bien définir d’autres entrées comme la température extérieure ou celle de la pièce ou les trois à la fois.
Etape n°2 : Fuzzification ou définition des fonctions d’appartenance des variables.
En clair, il s’agit d’attribuer à chaque variable des degrés d’appartenance à différents états que l’on doit définir. Pour simplifier, nous allons définir trois états d’entrée (trop chaud, tiède et trop froid) et trois états de sorties (nul, faible et fort). Maintenant, nous allons établir les degrés d’appartenance à ces états à l’aide de graphique.
Graphique de fuzzification des variables
Figure 5 - Graphique de fuzzification des variables

Etape n°3 : Création des règles d’inférences.
Il s’agit tout simplement, comme nous le ferions naturellement, de donner les règles qui lient les données aux actions. Ainsi, si la température est « trop froide », il faut mettre le courant « fort » ; si la température est « trop chaude », il faut mettre le courant sur « nul », et, enfin, si la température est « tiède », il faut mettre le courant sur « faible ». C’est ici qu’intervient tout l’intérêt de la logique floue car ces règles sont établies par le bon sens d’une personne avertie ou experte dans le domaine et non pas par un programmeur. Dans le cas cité, on pourrait prendre l’avis d’un ingénieur en climatisation qui dirait qu’il ne faut pas trop chauffer (notons bien le « pas trop ») lorsque la température extérieure est un peu au dessus de 20°C (« un peu ») et il s’agirait alors simplement de rajouter une règle et d’utiliser une des méthodes de calcul du « ET ».
Etape n°4 : Calcul et défuzzification.
Prenons un exemple simple: l’eau est à 37,5°C.
Schéma de défuzzification
Figure 6 - Schéma de défuzzification

Une fois les calculs faits, on obtient un schéma de résultat qui n’est autre qu’une valeur floue : la surface hachurée. Il s’agit maintenant de transformer cette valeur floue en grandeur physique réelle. Pour cela il existe trois grandes méthodes :
La méthode du maximum qui correspond à l’abscisse minimum de l’ordonnée maximum de la surface (on trouve 0,75A). Cette technique simple voir simpliste ignore les règles secondaires qui peuvent néanmoins être importantes pour la stabilité du système. Cette technique est peu utilisée.
La méthode de la moyenne pondérée. Il faut simplement cette fois faire la moyenne des résultats en leur attribuant comme coefficient leur validité.

Cette méthode est nettement plus juste et prend en compte tous les résultats présents malgré quelques ambiguïtés.
La méthode des centroïdes est de loin la meilleure. Elle consiste tout simplement à calculer le centre de gravité des surfaces. Pour cela nous calculons les centres de gravité de chaque surface puis nous pondéront les résultats avec les surfaces.
Schéma de la méthode des centroïdes
Figure 7 - Schéma de la méthode des centroïdes




Cette méthode est la plus gourmande en calcul mais donne les résultats les plus justes.
Il n’y a bien sur pas de méthode miracle et on peut encore trouver d’autres méthodes qui nuanceraient le résultat. L’essentiel est d’arriver à trouver une valeur cohérente par rapport a l’utilité que l’on cherche.

[3] R.Blanché